Inégalités, misogynie, critiques… Les obstacles sont nombreux pour une femme qui rêve d’une place dans le rap game. Mais certaines se lèvent et ne baisseront pas les bras.

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Cardi B
Cardi B

En France, les femmes rencontrent davantage de difficultés que les hommes pour percer dans le milieu du rap. Alors qu’aux Etats-Unis, Nicki Minaj (37 ans) et Cardi B (27 ans) figurent parmi les femmes les plus en vue de ce style de musique. Elles explosent tous les compteurs. 

Le rap français est à son apogée : il a réussi à se forger un public puissant et nombreux. Mais les rappeuses n’ont pas encore réussi à égaler les rappeurs – les Ninho (24 ans), PNL (33 et 31 ans) ou encore Booba (43 ans) qui trustent le haut des classements. 

Ninho
Ninho

Un milieu inégalitaire

Lara Bellerose-Dogustan
Lara Bellerose-Dogustan

« Le monde du rap, de la musique est à l’image du monde extérieur. Ce n’est pas parce qu’elles n’ont pas de talent qu’elles ne sont pas là, c’est juste parce qu’on leur donne moins leur chance », pense Lara Bellerose-Dogustan, chroniqueuse dans l’émission Youtube Tarmac. Une société inégalitaire entre les hommes et les femmes dont le rap se serait imprégné. 

Keny Arkana 
Keny Arkana

En plus des inégalités sociales, la rappeuse française Keny Arkana (37 ans) avance une autre raison : il y aurait « moins de femmes dans la rue », tout en précisant  « qu’il [ne] faut [pas] forcément avoir connu la rue et tous ses vices (drogues…) ou la garde à vue pour faire de rap […] ». Néanmoins, selon elle, « cet élan, cette rage qui te pousse à aller dans le rap, prendre le micro au milieu de 40 bonhommes à un moment, c’est aussi parce que tu es cabossé, un peu warrior ».

Une rage dans les textes qui serait, poursuit Keny Arkana, moins importante chez certaines rappeuses qui n’auraient pas connu les mêmes difficultés que les rappeurs.

Préjugés sur préjugés

Eloise Bouton
Eloise Bouton

Parfois cette rage se transforme en sexisme et contribue à bâtir cette image misogyne que beaucoup ont du rap. Il serait donc plus rude pour les femmes de se faire une place dans un univers où elles sont souvent rabaissées. Cependant, certains affirment qu’il s’agit d’un préjugé : « Le rap n’est pas plus misogyne qu’un autre milieu, nous explique Eloïse Bouton, fondatrice du média Madame Rap et militante féministe. Si beaucoup pensent que le rap est misogyne, homophobe, etc, c’est dû aux milieux d’origine des rappeurs, souvent difficiles ». 

Pauline Duarte
Pauline Duarte

Un préjugé qui en engendre un autre : la sexualisation des femmes dans le rap. Souvent filmées en petite tenue, à se déhancher aux côtés des rappeurs dans les clips, voici l’image que les auditeurs ont des femmes dans le rap.Pourtant, comme le dit Pauline Duarte, directrice du label Epic Records France, dans un reportage de Brut. « [Les femmes dans le rap] ne sont pas uniquement des grosses fesses dans les clips ! Il y a d’autres choses ! » . 

Eloïse Bouton, du média Madame Rap, croit que « le problème en France, c’est qu’il n’y a jamais eu de public pour les femmes sexualisées », contrairement aux États-Unis. On dit toujours que les Américains ont 10 ans d’avance, alors peut-être que dans 10 ans les versions françaises de Nicki Minaj et Cardi B seront acceptées par le public de l’hexagone ?

Qui sont nos rappeuses françaises ?

Des rappeuses en France, il en existe beaucoup, et bien plus qu’on ne le pense ! Selon le média Madame Rap, l’Hexagone compterait environ 270 rappeuses françaises actives en ce moment. Non, messieurs dames, il n’y a pas uniquement Diam’s (rappeuse célèbre, active de 1994 à 2009). 

Artistes françaises : trois exemples

Chilla
Chilla
ILLUSTRE
ILLUSTRE
Yelsha
Yelsha

Parmi tous les talents féminins, on peut citer Chilla (26 ans), qui a lancé sa carrière en 2017 avec son EP Karma. Elle est principalement connue pour ses textes engagés, comme dans son morceau #Balancetonporc. Se détache aussi ILLUSTRE (24 ans), originaire de Clermont-Ferrand. Son dernier morceau, Mémoire, parle de sa vision de la France et de la jeune génération. On peut aussi parler de Yelsha (23 ans), jeune rappeuse prometteuse originaire du Benin, dont le titre le plus connu est Cheffe.

Des chemins plus ardus pour les rappeuses que pour les rappeurs

Kitsune Kendra
Kitsune Kendra

Pour ces rappeuses, le parcours jusqu’à la gloire est bien plus ardu que pour leurs collègues masculins. A commencer par les labels, qui préfèrent mettre en avant leurs rappeurs dont les morceaux fonctionneraient mieux auprès du public. « La femme ne trouvera pas sa place dans l’industrie de la musique tant que ceux qui ont le pouvoir de nous y intégrer ne le font pas », clame la rappeuse et Kitsune Kendra dans l’émission Tarmac.

ILLUSTRE
ILLUSTRE

« Il ne faut pas oublier que les labels ont des enjeux financiers importants, nous rappelle la rappeuse ILLUSTRE lors d’une interview pour Music-Planet. La réalité d’aujourd’hui fait que c’est un risque supplémentaire de signer une femme ». Le problème est que, sans une mise en avant équivalente, les rappeuses auront plus de mal à trouver leur public. 

Certains labels demandent aux rappeuses de gommer leur colère ou de se relooker

Pour signer des rappeuses « Les labels les analysent davantage : est-ce qu’elle n’est pas trop vulgaire ? Trop sexy ? nous explique Eloïse Bouton, Ils vont les formater en leur demandant de gommer leur colère ou de se relooker ». Heureusement certaines, comme Yelsha, refusent de se soumettre à ce changement imposé. « Rien ne m’empêchera de rester fidèle à moi-même, à ma musique et à mon public », nous a-t-elle avoué en interview. Un public qui peut-être synonyme de soutien mais aussi de critiques.

Le public est une autre étape compliquée à franchir pour les rappeuses. « Il m’arrive de plus en plus, sur les réseaux, d’avoir des commentaires sexistes qui visent clairement la question du genre », constate ILLUSTRE. Toute personne qui s’expose publiquement reçoit des critiques mais, pour les rappeuses françaises, le risque est multiplié par deux.

Jugées soit trop sexy soit trop masculines

Les haters (les haineux) comme on les appelle, jugent souvent les rappeuses trop sexy ou, à l’inverse, trop masculines. De même, si les paroles s’avèrent trop violentes, les personnes hostiles les qualifieront de provocantes et si elles ne le sont pas assez, ils diront que ce n’est pas du rap. 

Mehdi Maizi
Mehdi Maizi

Il n’y a pas d’entre-deux, aussi bien pour les rappeuses que pour celles qui travaillent dans cet univers. « C’est un milieu qui est très violent pour les femmes, confie à la radio Mouv’, Mehdi Maïzi, présentateur de l’émission OKLM. J’ai des chroniqueuses femmes dans mon émission et, à la moindre petite erreur, les commentaires sont extrêmements violents ». 

Femmes rappeuses : une émergence inexorable

Le public français a encore du mal à se faire à l’idée qu’une femme peut faire du rap. La rappeuse ILLUSTRE reste cependant optimiste, « Comme aux États-Unis, il y aura un moment où il y aura de plus en plus de rappeuses. Une véritable vague et les gens comprendront qu’il n’y a rien d’anormal, ils finiront par banaliser tout ça ».

Si certains auditeurs réagissent ainsi, c’est parce qu’ils sont influencés par des textes de rappeurs souvent sexistes, qui rabaissent ou sexualisent la femme. Le féminisme n’est clairement pas la norme dans leurs morceaux. C’est plutôt la mise en avant du mâle alpha qui est de rigueur. Difficile alors pour les femmes d’évoluer dans un milieu où les paroles de ce type sont banalisées.

Fif Tobossy

Fif Tobossy

Malentendu ?

Néanmoins, le public ne devrait pas se laisser influencer, il devrait savoir faire la part des choses. « Dans le rap, tu as des comportements de “goujats”, confie Fif Tobossy, co-fondateur du média Booska-P, à la radio Mouv’. Souvent, c’est de la punchline, il n’y a rien de méchant ». Les rappeurs ne penseraient pas forcément tout ce qu’ils kickent (rappent)…

Malgré les obstacles, certaines rappeuses ne baissent pas les bras. Elles cherchent à se démarquer pour se faire entendre et gravir les marches des classements. « Je pense me démarquer par l’aspect poétique de mon écriture, nous explique ILLUSTRE, par la sensibilité que j’exprime, de manière parfois frontale, et en tentant aussi de bouleverser les codes de société auto-normés ». Même revendication pour la rappeuse Yelsha : « Je parviens à me démarquer par mes lyrics [paroles] et les idées que je défends, mon flow et mes attitudes ».

Réseaux sociaux : des laboratoires et des caisses de résonnance pour les rappeuses

La plupart des rappeuses ont utilisé les réseaux sociaux pour se faire entendre et se faire connaître. « Les rappeuses aiment les réseaux sociaux. Elles peuvent tester plein de choses tout en restant libres », nous explique Eloïse Bouton, fondatrice du média Madame Rap. Elles ont pu trouver leur style, savoir ce qui plaît au public ou, au contraire, ce qui ne marche pas. Un bon moyen pour elles de commencer librement, sans la pression des labels. 

Benjamin Caschera
Benjamin Caschera

Quoi qu’il en soit, le sujet de la place des femmes dans le rap est de plus en plus abordé. « Il y a eu une prise de conscience », constate Eloïse Bouton. La société évolue dans le bon sens et de plus en plus de rappeuses émergent. « Elles étaient peut-être 300 au total il y a quelques années et, maintenant, on voit dix nouveaux freestyles apparaître chaque semaine », observe Benjamin Caschera, directeur artistique du label La Souterraine, dans un article du Point.

Attention, les femmes arrivent !

Cette augmentation porte ses fruits puisque certaines rappeuses obtiennent des featurings avec des rappeurs français reconnus dans le milieu. Comme le rappeur Jul (30 ans) qui a invité la rappeuse Doria (23 ans) sur son dernier album La Machine, pour le morceau Toi-même tu sais. Côté chiffres, eux aussi augmentent ! Chilla, par exemple, totalise plusieurs millions de vues sur chacun de ses clips. 

Pauline Duarte
Pauline Duarte

Des femmes arrivent aussi à la tête des labels de rap comme Pauline Duarte. Elle a pris la direction, ce mois de juillet 2020, du label Epic Records France chez Sony Music Entertainment. Précédemment, elle dirigeait le label Dej Jam où ont signé des rappeurs tel que Koba La D (20 ans), Franglish (25 ans) ou encore Hatik (27 ans). « Pour moi, on est en train de renverser la vapeur, a affirmé au magazine digital Brut Leïla Sy, la co-réalisatrice du film Banlieusard, et de trouver dans notre féminité, dans notre regard, quelque chose d’hyper puissant ». 

Espérons que ces avancées encourageantes, poussent les rappeuses à ne pas baisser les bras. L’espoir d’un milieu du rap paritaire est présent. En tout cas, nous, on a hâte de découvrir qui sera la prochaine Diam’s ! 

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